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Madagascar Presse : à l’intention de la Communauté internationale

A l'attention de tous les membres de la Communauté Internationale

Nous, journalistes malgaches épris de liberté, tenons à attirer l'attention de tous les partenaires internationaux de Madagascar sur les évènements successifs qui menacent dangereusement la liberté de la presse à Madagascar.

Le lundi 21 juillet 2014, le Directeur de Publication, Jean Luc Rahaga et le Rédacteur en chef, Didier Ramanoelina, du quotidien "Madagascar Matin", ont été convoqués à la Brigade de recherche criminelle de la Gendarmerie Nationale à Fiadanana. Le ministre d'Etat, Rivo Rakotovao, a porté plainte contre eux, "pour diffamation et diffusion de nouvelles sans preuves". Le samedi 12 juillet 2014, un "courrier de lecteur", intitulé "Ces messieurs du bois de rose", a paru dans les colonnes de "Madagascar Matin" accusant le ministre d'Etat, Rivo Rakotovao, le ministre du commerce Narson Rafidimanana, et le ministre de 'Environnement Anthelme Ramparany d'être trempés dans les trafics de bois de rose à Madagascar. Certains faits particulièrement inquiétants méritent d'être soulignés:

- Les procédures dans le cadre de la poursuite judiciaire contre les deux journalistes ont été menées avec une rare célérité, inhabituelle et suspecte. Après avoir fait l'objet d'enquêtes qui a duré plus de 08 heures à la Gendarmerie, les journalistes ont immédiatement été déférés au parquet le même jour, pour être auditionnés par le Substitut du Procureur qui a pris la décision de les mettre en détention préventive. Ils ont donc intégré la prison d'Antanimora dans la soirée même. Le jour du procès était fixé au mercredi 23 juillet 2014.

- Au moment même où les journalistes, déjà au tribunal, attendaient d'être présentés au Parquet, le plaignant, ministre d'Etat, Rivo Rakotovao a tenu une conférence de presse à son bureau pour accabler les journalistes. Il avait indiqué avoir porté plainte "non en sa qualité de ministre, mais en tant que simple citoyen" parce que "son honneur a été bafoué". Mais peu de temps avant, l'avocat du Ministre, qui n'est autre que son Directeur de Cabinet, a été aperçu par les journalistes, faisant des va-et-vient au bureau du Procureur de la République.

- le jour du procès, le Directeur du Cabinet de la Présidence de la République, Mr Henry Rabary-Njaka, donne une longue interview dans le quotidien "L'Express de Madagascar" pour accabler les journalistes, en indiquant que "les sanctions sont des principes de l'Etat de Droit" et qu'il "ne devrait pas y avoir de sentiments contre ceux qui ne respectent pas la loi" alors que la Justice n'a même pas encore tranché sur l'affaire. Il y a précisé qu'il "espère que cela serve de leçon aux journalistes". Cette interview donnée par le Directeur du Cabinet de la Présidence est extrêmement révélatrice quant aux véritables intentions des dirigeants actuels sur la presse malgache.

Tous ces faits ne peuvent être le fruit d'un simple hasard ou d'une simple coïncidence. Ils entraînent forcément des fortes suspicions de pressions politiques et de trafics d'influence qui ne permettent pas de croire à une véritable indépendance de la Justice dans cette affaire. Par ailleurs, la défense des deux journalistes a évoqué certains autres faits encore plus inquiétants durant l'audience:

- La lettre de procuration présentée par le représentant du Ministre d'Etat, en tant que partie civile, comporte l'entête et le sceau de la République. Ce qui finalement veut dire que c'est bien Monsieur Rivo Rakotovao, en tant que Ministre d'Etat qui porte plainte et non comme simple citoyen comme il l'a laissé entendre lors de sa conférence de presse. Et donc, comme c'est l'Etat qui porte plainte, la personne qui a représenté le ministre à l'audience n'est pas légalement habilitée à le faire.

- La loi 90 031 régissant la Communication à Madagascar, stipule que seul le Directeur de Publication est pénalement responsable dans un organe de presse, ce qui signifie que le Rédacteur en Chef ne peut nullement être traduit en justice pour des faits qui lui sont incriminés dans le cadre de sa profession. Pour les avocats de la défense, il a été clairement établi durant les différentes plaidoiries à l'audience que le Directeur de Publication, Jean Luc Rahaga, n'a pas été au courant de la publication de cette lettre de lecteur, cette dernière a été publiée à son insu et donc sans son aval. Ce qui signifie qu'il n'y avait pas intention délibérée de commettre une quelconque infraction. A défaut de cet élément moral, un des éléments constitutifs de l'infraction, on ne peut pas légalement parler de "délit".

Par conséquent, les avocats de la défense ont tout simplement demande le renvoi aux fins de poursuite pour tous ces motifs. Nous nous joignons à la défense de nos deux confrères pour marteler le fait que la publication de cette "lettre de lecteur" sans avoir fait préalablement l'objet de "recoupement", doit être assimilée à une faute professionnelle et nullement une faute pénale. Nous ne pouvons ainsi qu'espérer que le verdict qui sera rendu par le tribunal, le vendredi 25 juillet 2014, aille dans le sens de l'acquittement pour nos deux confrères de "Madagascar Matin".

- Nous tenons enfin à souligner que l'incarcération de ces deux confrères est complètement disproportionnée. Une plainte en diffamation ne devrait nullement donner lieu à une détention préventive. Ces deux journalistes ne peuvent constituer un danger quelconque pour la société, tout comme le risque d'une fuite de leur part n'a pas été établi, deux motifs qui justifient le placement sous mandat de dépôt, censée être une mesure exceptionnelle selon la Constitution et le code de Procédure pénale Malgaches en vigueur. Nos profondes préoccupations prennent tout leur sens notamment parce que cet emprisonnement intervient au moment où les journalistes malgaches, avec l'appui de la Communauté Internationale, recommencent à discuter du Projet de Code de la Communication où il est surtout question de "dépénalisation des délits de presse".

Loin de nous considérer comme "au-dessus de la loi", nous, journalistes malgaches, pensons que l'incarcération d'un journaliste pour un délit commis dans le cadre de son métier, ne constitue pas une condition favorable à la liberté de la presse et représente une sérieuse menace au libre exercice de son devoir d'informer, ainsi qu'au droit à l'information des citoyens malgaches.

A six mois au pouvoir à peine, voilà le régime Hery Rajaonarimampianina qui est déjà en train de passer pour un véritable prédateur de la liberté de la presse à Madagascar. Nous attirons l'attention de tous les partenaires internationaux de Madagascar sur la nécessité urgente de défendre les acquis de la liberté d'expression, d'autant plus que d'autres actes inquiétants, de la part des dirigeants politiques, sont en train de survenir, entre autres la mesure de redressement fiscal prise soudainement contre "La Gazette de la Grande Île" ou encore la convocation d'une réunion urgente de la Commission Spéciale à la Communication Audiovisuelle (CSCA) par le Ministre de la Communication, le 28 juillet 2014 prochain, où il serait question d'étudier des mesures administratives de répression contre certains médias audiovisuels comme la radio Free FM 104.2.

Antananarivo, ce 23 juillet 2014

Mis à jour ( Jeudi, 24 Juillet 2014 15:11 )  
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