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Jean Claude Vinson : Musiques de Madagascar

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Dans le cadre d'une série thématique intitulée "Madagascar fenêtres", initiée par Juliette Ratsimandrava de l'Académie malgache, en partenariat avec le CITE Ambatonakanga et le SCAC d' l'Ambassade de France, le guitariste Jean Claude Vinson a donné une conférence sur les musiques de Madagascar. C'était le jeudi 22 mai 2008, à l'Espace Rarihasina, sis à Analakely Antananarivo.
Madagate.com était présent grâce à son journaliste sur place Jeannot Ramambazafy. Allons de découvertes en surprises....

Isabelle Gachie, Directrice du CITE et épouse de Jean Claude Vinson, Laurence Ink et Juliette Ratsimandrava


Jean Claude, Juliette et Laurence

Laurence Ink, écrivaine qui a posé l'encre à Madagascar depuis des années, présente Jean Claude Vinson

Une partie du public venu nombreux et composé de jeunes étudiants qui sont allés de découvertes en surprises sur leur propre culture musicale

Le seul et unique Xhi avec Etienne Rabate, Conseiller culturel à l'Ambassade de France

Dernières mises au point audiovisuelles

Mesdames et messieurs, bonjour !

« Madagascar fenêtres » m'a fait l'honneur de m'inviter à présenter une conférence sur la musique, et je les en remercie. Toutefois, le temps de 20 minutes me paraît court pour aborder la musique de Madagascar. Mais ce temps court reste quand même précieux. Je vais donc essayer d'être le plus explicite dans le temps et le contenu.

 

Qui suis-je pour venir vous parler de musique ?

Je suis Malgache par ma mère, Français par mon père. Né à Madagascar, j'y ai grandi et vécu jusqu'à l'âge de 17 ans. J'ai du -comme beaucoup de Malgaches- quitter la Grande île qui sombrait dans un régime politique marxiste. En France, au début des années 1980, je travaillais comme technicien auprès de stars du rock. J'ai fait venir des artistes français et américains à Madagascar, produit des concerts de musiques, collaboré à la réalisation de compilations de disques sur la musique de Madagascar. Manager international d'un groupe phare du rock français et de l'artiste malgache Jean Emilien dont j'étais le producteur, le tourneur et le manager. Jean Emilien a fait, en 1991, la première partie de Carlos Santana à Paris Bercy (durant 30 minutes), a obtenu le Premier prix et la médaille d'Or mondiale d'harmonica au Etats-Unis en 1991, a fait l'Olympia avec Bernard Lavilliers, l’Olympia avec les Pow-wow, une tournée américaine et européenne etc. Aujourd'hui ? Je vis à Madagascar depuis deux ans et demi avec femme et enfants et j'ai même osé réaliser un CD en tant que auteur, compositeur, interprète.

Rassurez-vous je ne détiens pas la vérité sur la musique mais je saisis cette occasion pour parler de musique de manière très large. Je ne vais pas aborder la production de CD, ni les droits d'auteurs, ni même parler du management car cela demanderait beaucoup plus de temps. Par contre, je préfère mettre l'accent sur ce que je trouve de précieux : le rythme de la musique qui est une partie importante de l'âme de la musique de Madagascar.

Mais avant, brièvement quelques mots sur le marché de la musique dans le monde : tout a complètement changé et ne sera plus comme avant avec Internet. En 6 années l'industrie mondiale du disque a perdu 50% de son chiffre d'affaire. Le coupable désigné est bien sûr Internet. On parle de téléchargements. Avec l'arrivée du haut débit à la maison, télécharger une chanson ou un clip est devenu chose facile. L'internaute est désormais au centre du jeu musical. C'est lui qui décide de ce qu'il veut écouter. Malgré cette chute vertigineuse, il n'y aura pas de retour en arrière. L'industrie du disque va devoir s'adapter à cette réalité. On peut dire que le disque ne tourne pas rond et à Madagascar où c'est pire encore car le marché du CD n'existe pratiquement pas, ou très peu, mais en plus il est dominé à plus de 90% par le piratage. Donc cette partie de la musique je préfèrerai en parler à un autre moment mais pas aujourd'hui.

 

A l'extrême gauche, Gabin, le leader du groupe Vaovy qui oeuvre dans la musique traditionnelle du sud profond de la Grande île

Mais tout d'abord commençons par la spécificité de la musique malgache :

Comme sa population, l'art musical de Madagascar a pour origine le mélange des cultures asiatique, africaine, arabe et européenne. Sur ces bases, la culture malgache à élaboré sa spécificité artistique et, de manière continue, elle s'est régénérée avec les emprunts aux cultures nouvelles de rencontres ou de passages. J'en profite pour rappeler l'influence européenne avec la célèbre chanson des hautes terres « l'Afindrafindrao » (« pas à pas»), composée par une aristocrate virtuose de la valiha, Razafindriantsoa (sous Ranavalona III). Cette chanson est inspirée des menuets dansés à la cour du Roi-Soleil.

Chaque région, chaque ethnie a sa musique. Madagascar est un pays où l'on chante et où l'on joue de la musique en toutes circonstances, de la naissance à la mort. Justement, le « Famadihana » ou « retournement des morts» donne lieu à une grande fête musicale qui peut durer une journée entière ou même plusieurs jours. Elle n'a pas pour seul but de consoler la famille éplorée, mais elle célèbre également la mort qui est une renaissance à la vie, le monde des esprits, le monde des ancêtres. Pendant l'exhumation, la musique et les danses contribuent à fêter le retour de l'esprit des morts parmi les vivants. La joie qu'elle procure est ressentie par l'assistance et les musiciens qui se partagent leur bonheur. Le musicien a le pouvoir de matérialiser l'irréel. Il permet aux vivants de retourner dans le passé par la communication avec les défunts auxquels, d'une certaine manière, il redonne la vie. En 1995, j'ai moi-même collaboré à la réalisation et à la production d'un film pour TF1, avec Igor Barrère, sur le retournement des morts de la famille du plus prestigieux des flûtistes de Madagascar, Monsieur Rakoto Frah.

C'est aussi par la musique et la danse que certaines ethnies entrent en relation avec les esprits des ancêtres : c’est le rite du « Tromba ». Ce rite de possession fait appel à une musique de transe, elle sert de transmission de l'histoire et des connaissances, elle est présente lors des évènements bien explicites, omniprésente à la danse et aux manifestations de joie. La musique est un lien avec le sacré, avec les divinités et les pouvoirs surnaturels. Cette musique rythmée constitue un patrimoine sacré : pour les profanes cette musique a un parfum d'exotisme et constitue un raccourci vers la spiritualité. Ce spiritisme crée des émotions, soulève des espoirs, apporte des guérisons, révèle des remèdes. L'évènement ou la maladie dont il est la cause devient une source d'inspiration et une sorte d'honneur car ils permettent des révélations. Selon le cas à traiter, le médium connait la musique appropriée et l'esprit à solliciter.

 

La jeunesse malgache reste très attachée à la musique traditionnelle qui est l'âme, la vie, le cœur, la culture et l'expression du peuple malgache. Très riche, la musique malgache est spécifique à chaque région.

Sur les Hautes terres centrales: le « Hiragasy », le « Bàgasy »
A l'Est: le « Bassesa »
Dans le pays Betsileo : le « Horija »

Dans le Sud et du côté de Fort Dauphin, on a le « Mangaliba » ; à Ambovombe androy le « Rodoringa », une façon originale de jouer le rythme 12/8, le rythme « Banaiky », les chants « Bekoko » qui parlent d'amitié, de respect et le mot « Bekoko » est devenu, aujourd'hui, « Beko ». On peut aussi avoir des sens qui ne s'aiment pas et qui s'affrontent en chantant, en s'envoyant des mots violents et haineux et, dans ce cas, le chant s'appelle « Tafatogno ».

Dans le Sud-ouest, et plus particulièrement dans le Menabe, on a le « Kilalaky » ou aussi appelé « Degoly » pour la raison suivante : durant la colonisation les Français ont interdit le « Kilalaky qui est la musique des rois Sakalava du Menabe. Alors, pour contourner l'interdiction le « Kilalaky » (qui signifie fête) est devenu « Degoly » ( en référence au général de Gaulle). Jusqu'à aujourd'hui, « Degoly » est toujours d'actualité dans le Menabe.
A Toliara : le « Tsapiky »
Dans la partie septentrionale de la Grande île : le « Salegy ».

 

Jimmy, Rasta percussioniste et Jean Emilien "kabosiste", champion du monde d'harmonica

Qu'est ce qui fait que la musique malgache est si particulière?

Je ne suis pas un ethnomusicologue, ni un docteur es musicologie mais c'est mon expérience du terrain sur la musique malgache et mondiale qui a poussé ma curiosité à chercher, et comprendre pourquoi la musique malgache est si particulière. Vous me direz que toutes les musiques du monde sont toutes particulières et je vous répondrai naturellement par un oui. La musique du Mali, par exemple, avec de prestigieux ambassadeurs comme Salif Keita peut être la plus belle voix du continent africain ; la musique du Sénégal avec la plus grande star du continent africain Youssou N'dour, la musique de Cuba qu'on ne présente plus ; la musique de l'Afrique du Sud avec Johnny Clegg, ou du Cameroun avec Manu Dibango. Mais vous avez compris que je suis originaire de Madagascar et que je suis donc plus sensible à ce qui touche à la Grande île et, forcément, cela m'amène à la particularité de la musique malgache qui est son rythme.

Le rythme:

Cet aspect n'apparaît pratiquement jamais dans les magazines de musique, même spécialisés, et encore moins dans les autres journaux alors que c'est le plus considérable, c'est l'essence même de la musique et je le qualifierai d'essentiel pour l'avenir de la musique de Madagascar. Il est à mon avis l'élément le plus important. Je m'explique:

Madagascar est un pays ou les rythmes utilisés dans la plupart des régions de l'île paraissent totalement différents les uns des autres. Mais finalement, ils sont de la même veine : on appelle ce rythme le ternaire ou encore le 6/8 ou le 12/8.
Madagascar n'est pas le seul pays où on le pratique car il existe aussi dans les autres continents, comme par exemple en Asie, et plus particulièrement en Inde, en Afrique ­continentale évidemment-, en Amérique comme au Brésil, aux Etats-Unis ou les jazzmen le pratiquent quasi-quotidiennement. Mais à Madagascar ce rythme 6/8 ou 12/8 a un parfum propre à la Grande île.
C'est un atout important surtout à un moment où les musiciens malgaches cherchent des solutions pour percer le marché international.

On sait aujourd'hui que, primitif ou high-tech le rythme est l'âme de la musique du 20ème et du 21ème siècle. D'un bout à l'autre de la planète, du Blues au Reggae, du Raï a la Techno, du Zouk au Jazz, il s'impose au détriment de la mélodie et de l'harmonie. Le rythme a toujours été l'âme de la fête et, aujourd'hui, peut être plus que jamais, il est l'âme de l'art lui-même. Dans le monde, sur tous les continents, du blues à la musique classique, de la musique Gnawa au Hip Hop, le rythme continue de faire naître de nouvelles idées et de remodeler les anciennes.

Il est à la fois primitif, simple comme un battement de mains et de cœur, mystérieux dans ses complexités et dans ses subtiles variations. Il constitue l'élément le plus viscéral de la trinité musicale « mélodie-harmonie-rythme » et aussi le plus ouvert, puisque capable de mutations encore inconnues. Déplacez un accent, ajoutez un silence, apportez a un passage une attaque différente et un nouveau rythme est né : en comparaison, la mélodie et, plus encore, l'harmonie, paraissent figées dans des formes données et finies.

Le rythme regarde vers le passé; il satisfait un désir de sensations primaires et rituel cyclique mais il regarde également vers l'avenir. Les machines musicales dernier cri avec le numérique gèrent des programmes informatiques capables de davantage d'endurance que ne peut fournir le plus doué des batteurs. La monté en puissance du rythme est la preuve que la culture européenne, avec la priorité quelle accorde à la mélodie et à l'harmonie, perd de son influence dans le grand mixage mondial. Ici, en Afrique, le rythme règne en maître.

Chaque week-end, dans le monde, des centaines de milliers de citadins passent de longues nuits à danser en boîtes, sur de la musique réduite à du pur rythme appelé, Jungle, Techstep, Hard house ou plus récemment encore Techtonik... Au sens plus général, la musique n'est que rythme. Le rythme est ce qui relie la musique au corps, au pouls, à la respiration, à la locomotion, à la danse et au sexe : Mozart a bien dit : « le plus important dans la musique c'est le rythme».

A la différence de l'harmonie et de la mélodie, le rythme se laisse difficilement capturer sur papier. Il échappe donc à la notation et à la transcription et exige de ceux qui veulent le maîtriser qu'ils se remettent à apprendre à l'oreille, car il demeure une tradition orale.

Dans le Jazz on a eu une évolution rythmique en fonction des époques, par exemple comme le Ragtime, le Be-bop qui ont servis de cadre aux improvisateurs. Après avoir initié le « Jazz cool» et le «Jazz modal», Miles Davis, marqué par une admiration pour Jimi Hendrix, invente la fusion ou le Jazz-rock en 69.

 

Cuba est une île qui a aussi connu un métissage de cultures en donnant naissance à un rythme appelé « afro-cubain» et qui, depuis près d'un siècle, continue de nourrir la musique mondiale. Madagascar sera-t-il le Cuba de demain ? Fournira-t-il à son tour la musique mondiale de son rythme original ? C’est aux musiciens malgaches de décider et de travailler car, comme on dit, le seul véritable ennemi qu'on a dans le travail, c'est soi-même. J'ai ici un exemple d'un artiste mondialement connu qui a basé sa musique sur le rythme de Cuba alors qu'il est Mexicain. Et comble du comble, star mondiale depuis 40 ans, Carlos Santana n'a jamais mis les pieds à Cuba !

 

Il y a plusieurs décennies déjà, et jusqu'à aujourd'hui, les responsables de la culture du pays mettent l'accent sur la promotion et la protection de la musique traditionnelle car parait-il, elle en a besoin car elle est en voie de disparition. Je ne sais pas si je vais vous rassurer : la compagnie Jirama assure la couverture en électricité de moins de 20 % de la population de Madagascar (plus délestage) ce qui logiquement me fait penser que 80 % de la population n'a pas l'électricité donc on peut en déduire que les 80% de la population musicienne de Madagascar joue forcément une musique dite traditionnelle, parce que pas d'électricité donc pas de guitare électrique, d'orgue électrique, de Sampleur, etc … Je vous disais que la Jirama assure donc que 20% de l'électricité. Alors pensons à ses 20% de musiciens qui eux, par contre, reçoivent la Jirama chez eux. Ils peuvent jouer de la guitare électrique, de l'orgue électrique, capter Internet ou les télévisions par satellites, ils peuvent voir ce qui se passe en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs, sont informés de l'évolution de la musique mondiale qui avance quotidiennement.

Ces jeunes musiciens ne veulent plus être à la traine comme leur aînés. Ils veulent participer à faire évoluer la musique. Alors aidons-les à se nourrir d'informations extérieures pour qu'ils aiguisent leurs connaissances, qu'ils se nourrissent d'informations musicales extérieures riches afin de créer des œuvres originales basées sur l'identité malgache. Il existe à Antananarivo la médiathèque du Centre culturel Albert Camus où les musiciens peuvent emprunter de la musique étrangère et s'informer sur l'actualité culturelle mondiale. Comme je le disais, le rythme malgache est tellement unique, que même si elle est mélangée à une autre musique, la couleur malgache et son identité resteront. Le Reggae est un parfait exemple.

La mauvaise information disant que la musique traditionnelle risque de disparaître à cause de la musique venue d'ailleurs et plus particulièrement d'Europe ou des Etats-Unis d'Amérique, nous l'avons déjà entendue dans les années 70 et 80, où le Rock et la Pop music n'étaient pas les bienvenus dans un pays devenu marxiste où cette culture rock était considérée comme une musique de dépravés, de drogués.

 

Mais saviez-vous ce qui suit ? Grâce à l’initiative et la volonté de Vincent Maestracci, Inspecteur général de l'Education national, le génial guitariste américain Jimi Hendrix -que l'on a trop rapidement étiqueté de dépravé et de drogué- est depuis 2007 dans le programme de l'Education nationale en France, au programme du Bac L.

 

On sait que la musique malgache n'est pas aussi présente sur les grandes scènes internationales comme le sont les artistes de l'Afrique de l'ouest ou de l'Afrique continentale. Effectivement, plusieurs artistes malgaches partent régulièrement en Europe ou en Amérique mais généralement c'est pour jouer pour le public de la Diaspora ou pour participer à des festivals internationaux sur la même affiche que d'autres artistes de pays divers. Heureusement que Jaojoby et D'Gary travaillent beaucoup pour remédier à cela et commencent à être reconnus. Mais il faut se mettre à plusieurs pour accompagner ces deux artistes de talent afin de toucher une plus grande audience.

Grâce à la rencontre de plusieurs peuples, Madagascar a trouvé son identité culturelle pour progresser et enrichir son patrimoine, son identité culturel. Mais le pays doit continuer à s'ouvrir. Ne faisons pas de Madagascar un musée ethno-musical fermé sur lui-même où l’on ne verrait que des ethno-musicologues, chercheurs d'horizons divers venir nous conter des thèses scientifiques sur le devenir de la musique de Madagascar et continuer à nourrir leurs conversations de salons car cette pratique existe depuis des décennies et existe toujours à l'heure où je vous parle.

Imaginez quelques minutes, que si on avait parqué les musiciens de Blues comme on a fait des indiens d'Amérique en les parquant dans les réserves à une époque, la musique serait restée tel quelle, il n'y aurait eu que du Blues à la guitare acoustique, sans évolution. Nous n’aurions eu ni le Jazz, ni le Rock, ni le Hip-Hop, ni le Rap, ni Rythm & Blues, ni le Reggae. Charles Trenet aurait stagné, Johnny aurait chanté le même répertoire que Mireille Mathieu bref…. et que sais-je encore ? Car, comme vous le savez, toutes ces musiques viennent du Blues. On ne peut pas créer en étant fermé, on ne peut pas évoluer en étant fermé, en se fermant on tourne le dos à l'évolution.

A l'extrême-droite, Christian Oquet, premier Conseiller Culturel à l'Ambassade de France

Il faut oser mélanger la musique, oser créer de nouveaux rythmes, de nouvelles sonorités. Le plus bel exemple reste pour moi celui de Bob Marley. Voici ce qu'il a dit avant de se lancer dans son exceptionnelle aventure :
« Les musiciens de la vieille génération s'étaient fait arnaquer, ils en avaient marre et ne voulaient plus jouer. Ils ont été remplacés par ceux qui avaient faim, des gens comme moi, des fans de James Brown, qui puisent dans le sac américain. On ne pouvait pas tourner en rond, continuer à faire du Ska toute notre vie. Les jeunes musiciens, ils avaient un rythme différent; c'était au tour du Rock Steady, on était prêts ».

 

A la Jamaïque les musiques sont le Calypso, le Mento, le Ska, les origines du Reggae. Bob Marley et ses amis musiciens ont injecté du Rock, du Rythm and Blues dans leur Calypso, Ska et Mento natals et le Reggae est devenu, à la fin des années 1970, le symbole de la Jamaïque, le symbole de plusieurs générations. J'ai même mon analyse personnelle sur la composition du plus grand tube de Bob Marley qui souligne encore plus le mélange qu'il a intelligemment réalisé. Actuellement Bob Marley est l'artiste le connu de la planète, le seul à être vénéré en Europe, en Amérique, en Asie, et bien sùur en Afrique. Il est depuis bien longtemps la personnalité la plus connue la planète.

 

Pour ma part, l'instrument reste un instrument et il est le prolongement du corps, et qu'importe l'instrument, sa forme, son odeur, son origine, qu'il soit électrique ou pas, qu'il marche à l'énergie solaire ou au charbon, qu'il soit un piano, un synthétiseur ou un harmonica, l'âme reste l'âme. Ali Farka Touré joue de la guitare, une guitare que l'on peut trouver dans n'importe quel magasin de la planète mais il n'y aura qu'un seul Ali Farka Touré. D'Gary joue sa musique avec une guitare qui n'est pas un instrument traditionnel malgache et pourtant l'âme de sa musique reste intacte. Jean Emilien a obtenu la médaille d'or d'harmonica aux Etats-Unis en 1991 en interprétant des chansons du terroir malgache avec un harmonica.

Les Européens et les Américains restent les principaux consommateurs de CD et leurs oreilles ont été bercées avec une certaine sonorité d'instruments. Si l'on vient leur proposer une musique, aussi originale soit-elle, mais jouée avec des instruments totalement nouveaux pour eux et dont les sons sont différents de ce qu'ils ont l'habitude d'entendre, les auditeurs occidentaux risquent de ne pas accrocher, d'autant plus que l'homme est paresseux par nature et pour lui faire écouter de la musique c'est généralement à un moment où il se relaxe, où il a envie de rêver d'être emporté par la musique. Or, si celle-ci l'intrigue et qu'il doit fournir un effort intellectuel pour comprendre quel type d'instrument donne cette sonorité, généralement il zappera. Et, de plus en plus, l'homme n'a pas le temps. Il faut oser mélanger non seulement les sons, les musiques, les rythmes mais aussi les instruments de musique. Naturellement je pense à la phrase du génie absolu de la peinture, Pablo Picasso qui disait ceci: « Si tu veux vendre quelque chose à quelqu'un, apporte-lui un peu de ce qu'il connaît et un peu de ce qu'il ne connaît pas» Son œuvre est basée sur le mélange de l'art européen, l'art océanien et l'art africain.

Dans le rock et les autres musiques populaires les changements et les bouleversements rythmiques ont été plus rapides. Mais je reviendrais plus tard sur ce point. Je terminerai ce paragraphe « rythmique» par ceci : Aujourd’hui le rythme est entré en force dans les musiques européennes, occidentales. Madagascar à lui seul est un trésor de rythmes qu'on n'a pas encore réellement découvert et mis en valeur.

 

Tout émane de la culture

Faut-il rappeler qu'un pays n'existe que par sa culture ? Un pays sans culture ce n'est pas un pays.
Je voudrais vous conter quelques anecdotes, ô combien croustillantes, quelques citations de l'histoire de la musique mondiale liées directement ou indirectement à Madagascar.
Ces quelques citations sont pour moi beaucoup plus importantes qu'une vie entière d'encouragements.
Ce sont aussi des repères pour tout journaliste en herbe ou confirmé. Des repères, il en faut pour tout pays et il en faut encore davantage pour Madagascar. Et c'est par ces repères que je terminerai mon discours sur la musique.

Je vais commencer par Danny Boy et les Pénitents, le premier groupe de rock français avec Daniel Gérard en 1958. Johnny Hallyday n'existait pas encore, ni Eddy Mitchell, ni les Beatles, ni les Rolling Stones, ni Led Zeppelin et je pourrai en citer encore des noms… Pourquoi Danny Boy et les Pénitents ? Parce que les Pénitents, ces quatre musiciens qui formaient le groupe étaient des Malgaches, fils de diplomates malgaches en France et qui ne voulaient pas que leur parents les reconnaissent, alors ils se sont mis des cagoules. C'est grâce ou à cause des cagoules qu'on ne les a pas reconnu. Il est vrai aussi que, jusqu'en cette année 2008, être musicien à Madagascar c'est presque honteux dans la majorité des familles. On a tendance à cacher son fils musicien car ça fait honte; on préfère l'avocat, le professeur, le docteur, l'ingénieur, le colonel, mais le musicien, c'est honteux. J'ai moi-même, la semaine dernière, eu droit à cette remarque venant de ma famille malgache du genre « comment se fait t-il que tu te rabaisses en étant musicien alors que tu es producteur ?

A ceux qui méprisent les artistes, les musiciens, je voudrais leur dire ceci : il y a 10 ans un musicien a tout simplement refusé deux invitations du Président Bill Clinton et a même refusé l'invitation du Pape Jean Paul II pour qu'il vienne jouer un peu de guitare au Vatican. Je connais des présidents de pays de la planète qui auraient couru à ne serait-ce qu'à une de ces trois invitations. Ce musicien a osé refuser et « il n'est que guitariste ».

Je reviens aux Pénitents. On peut donc dire que des musiciens malgaches étaient parmi les dix premiers musiciens à jouer du rock en France et, sûrement, parmi les tous premiers en Europe. Ce n'est qu'après que sont apparus les Rollings Stones, les Beatles, les Pink Floyd, Eric Clapton... des personnalités ô combien importantes dans le monde et aujourd'hui, en 2008, le Rock malgache est toujours à l'écart de la scène de la Grande île. Mais que s'est-il passé? A qui la faute? Sûrement pas aux musiciens et artistes.

 

Même les plus grands de ce monde, Bill Gates et Paul Allen rendent hommage à la musique en créant au prix de plus d'un demi milliard de dollars un musée à Seattle consacré à Jimi Hendrix. Hendrix compose une chanson en backstage du grand festival de Woodstock en 1969. Il l'intitule « Madagascar ». Il appelle sa production « Antakarana» (antakarana étant le peuple qui vit dans le nord de Madagascar)

Sur les fiches d'hôtel aux Etats-Unis il signe « Antakarana staff» avant de signer Jimi Hendrix (les documents sont avec moi et vous pouvez les consulter si vous le voulez).

Ensuite c'est le Jamaïcain, ami de Bob Marley, Stanley Beckford qui nous a quitté l'année dernière à l'âge de 65 ans, il était l'un des derniers pionniers du Mento, l'ancêtre du Reggae : Stanley Beckford déclare dans le magazine l'Express français que l'origine du Mento et du Calypso est la musique de Madagascar donc, forcément, le Reggae est originaire de la musique de Madagascar » (l'Express de France du 26 avril 2004).


Jean Claude Vinson, Jean Emilien et Carlos Devadip Santana au début des années 1970

Je note aussi l'interview de Carlos Santana par Blair Jackson du journal américain «On stage» du 30 décembre 2002. Santana dit ceci : « Nous ne devons pas avoir peur d'aller à Madagascar pour jouer et comprendre leur musique. Je ne veux pas mourir idiot et je trouverai le moment pour y aller ». Enfin, le Malgache Andy Razaf compose la chanson « In the mood » qui a permis à Glenn Miller de se faire connaître dans le monde.

On attend aussi et surtout de l'artiste malgache d'être capable de remplir des salles que des Rock Stars ont l'habitude de remplir, avec un public mélangé et je sais que c'est l'objectif de tout artiste, qu'il soit de Madagascar ou d'ailleurs.

Le meilleur exemple nous vient du Sénégal en la personne de Youssou N'dour. Début 1990, il accepte un duo avec Neneh Cherry, fille du saxophoniste de jazz américain Don Cherry. La chanson est Pop mais l'âme de Youssou N'dour reste intacte. La chanson est un tube mondial. Aujourd'hui ? il reste le plus grand ambassadeur de la musique africaine. Dans son pays, il a créé sa propre société de micro-crédit. Il a créé un journal important à grand tirage. Il a aussi crée une fondation caritative. En 2005 il est dans le top 100 des personnalités les plus influentes du monde par la rédaction du Magazine Time.

 

Revenons sur ma vision de la musique de Madagascar.

S'ouvrir à d'autres musiques inquiètent certaines personnes qui se disent que la musique malgache n'est plus authentique si elle est jouée par des instruments qui ne sont pas des instruments traditionnels malgache. La culture à Madagascar à tendance à se tourner vers le passé, avec cette tendance de se fermer sur son île et sur soi-même. Certaines personnes pensent même que si la musique malgache n'a pas du valiha ou du Kabosy ce n'est pas de la musique malgache.

 

En conclusion, je dirais que l'artiste de Madagascar doit rechercher un équilibre dynamique entre sensations corporelles et psychiques, entre musique d'ailleurs et du terroir. Ne pas se gêner à aller chercher ces musiques d'ailleurs pour les incorporer à la musique malgache. Mickael Jackson ne sait pas gêner en reprenant un thème de Manu Dibango dans son album « Thriller» en 1982 et qui reste l'album le plus vendu de tous les temps. Paul Simon à réalisé son plus bel album avec la musique de l'Aftique du Sud, en 1985, avec « Graceland ». Santana

à réalisé son premier tube mondial avec «Jingo » en 1969, titre dont l'auteur et compositeur n'est autre que le nigérian Babatunde Olatunji. Je n'ai cité ici que quelques artistes phares de la musique mondiale mais, bien sûr, il y en a d'autres plus ou moins connus.

Alors si eux puisent dans le sac africain depuis plusieurs décennies déjà, en se faisant de belles places au soleil, pourquoi ne pas faire comme eux, se servir dans le sac américain ? Et comme le disait si bien Bob Marley : ne pas attendre mais tout de suite passer à l'action ! Ces grands n'ont demandé la permission à personne et se sont servi pour créer leurs œuvres. Alors faisons comme eux, servons nous et avançons.

Quoi que nous réserve la musique malgache, je suis très optimiste et je pense que la jeunesse participera de manière significative a la musique mondiale de demain. Elle est la même depuis mon adolescence et elle s'est confirmé depuis que je suis devenu moi-même musicien.

 

 

Jean-Claude Vinson

Espace Rarihasina, Analakey Antananarivo,

22 mai 2008



Applaudissements !



Jacky Z, un ethnomusicologue, Juliette Ratsimandrava, Rajery


Hemerson Andrianetrazafy et son épouse, artistes plasticiens et secrétaires de l'Association Vaika dont Richard Razafindrakoto, disparu le 11 octobre 2006, était membre fondateur en 2001



Mimina, Jean Claude et Xhi



Membres du groupe Vaovy, Mimina, Gabin, Doné Andriambaliha, Jean Claude Vinson et Xhi

Photos
Jeannot Ramambazafy
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Bannière

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